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Post-mortem de mon mémoire de maîtrise [2010]

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En survolant mes dossiers, je suis tombé sur le texte de ma soutenance de maîtrise que j’avais écrit en novembre 2010, il y a donc 12 ans maintenant. Je le reproduis ici intégralement, en ajoutant quelques liens vers du contenu que j’ai déjà présenté sur ce blogue. C’est fou comme le temps passe vite.

*

Le premier projet que j’ai soumis pour mon mémoire de maîtrise portait sur un rapport à StarCraft entre la narration et la stratégie. Laissant parler le ludologue en moi et suivant les conseils de mon directeur, j’ai laissé tomber l’élément narratologique du projet, sans cependant laisser tomber en même temps ce qui, pour moi au départ, était l’intérêt d’une approche narrative du jeu. Non pas comprendre comment le jeu raconte une histoire, mais quel est le rapport narratif du joueur vis-à-vis du jeu. Cet objectif était un héritage de mon intérêt pour la théorie cognitive du cinéma, théorie qui s’est avérée le point de départ (et peut-être aussi le point d’arrivée) de ma compréhension de la stratégie dans StarCraft. Je me suis donc intéressé au rapport stratégique du joueur vis-à-vis du jeu.

En introduction, je présente différents rapports avec le jeu sur lesquels les analyses précédentes se sont basés — rapport diégétique, rapport d’optimisation stratégique, et plusieurs nuances entre les deux — pour finalement proposer ma propre approche. Mon introduction ne pose pas une question claire qui guiderait la lecture de l’ensemble de mon mémoire; je propose plutôt que la stratégie soit le premier élément à analyser lorsqu’on approche les jeux de stratégie en temps réel. Je précise que « parmi les compétences que les jeux de stratégie en temps réel impliquent, c’est la stratégie qui est la plus signifiante pour le joueur ». Cette affirmation est finalement l’hypothèse qui a servi de guide au projet. S’il y a « quelque chose au-delà de la représentation, au-delà de l’image et du son », comment en rendre compte? Au fond, je me suis proposé de faire les premiers pas d’une démarche de questionnement sur un objet d’étude. Si j’avais à la poser de manière explicite sous forme de question, il s’agirait de celle-ci : « du point de vue du joueur de StarCraft, quelles actions sont les plus signifiantes à son expérience de jeu et comment en rendre compte? ».

Il y a beaucoup d’implicite dans mon introduction. Pourquoi StarCraft? Pourquoi un seul jeu et non pas une étude comparative, par exemple? La réponse me semble aller de soi alors que je suis en fin de parcours. Aujourd’hui, je vais notamment mettre en évidence certains éléments implicites de mon introduction et de mon mémoire. L’idée de qualifier ces pages de prolégomènes en conclusion est pour moi ce qui relie à la fois les forces et faiblesses de ma démarche, et qui donne un sens au travail que j’ai entrepris.

Pour cette présentation, la structure de mon mémoire m’a inspiré. D’abord, je voudrais mettre en évidence deux limites du résultat que je présente ici; deux limites ou difficultés que j’ai eues dont les deux premiers chapitres sont les exemples parfaits. J’insisterai par la suite sur la nécessité de ces limites en utilisant les deux derniers chapitres comme ce qui énonce clairement l’intérêt de l’ensemble de la démarche.

Au chapitre 1, je propose une description détaillée du jeu en insistant sur certains éléments qui me serviront — à différents degrés — dans le reste du texte. À l’instar de ce chapitre, mon mémoire peut apparaître pour certains comme une très longue description d’un processus cognitif, d’une manière de jouer, sans qu’une réflexion au-delà de cette explication n’ait été aboutie. C’est la difficulté que j’ai eu durant les présentations orales, dans des colloques ou lors de séminaires, soit de devoir toujours prendre du temps pour expliquer mon objet d’études avant de pouvoir aller plus loin dans la réflexion. Malgré cette nécessaire description, je cherchais à aller plus loin que ce qui m’apparaissait comme énoncer des évidences. En présentant la position actuelle des chercheurs qui se sont intéressés aux jeux vidéo, expliquer l’importance de la stratégie apparaît fort utile. Même le joueur professionnel y verra un intérêt : quels sont les mécanismes cognitifs qui font que son rapport au jeu est tel qu’il est? Pourquoi y a-t-il des éléments qui sont spécifiques à StarCraft?

Mon chapitre deux est au contraire le chapitre ouvert par excellence, là où la réflexion va dans plusieurs sens. Différents concepts sont invoqués, s’entremêlent, dialoguent entre eux, mais le fil directeur entre ceux-ci est mince à certains endroits. Il m’importait de donner un aperçu du terme stratégie, de son utilisation dans différents contextes et pourquoi je veux distinguer les « plans stratégiques » du « processus stratégique ». Tout ceci nécessitait que mon texte s’inscrive dans plusieurs directions qui n’ont parfois pas de lien commun très net; il témoigne d’un certain état de la question. En général, dans mon mémoire, mon propos est assez ouvert, dans la mesure où plusieurs concepts — je pense particulièrement à la tactique ou l’équilibre — pourraient être expliqués plus en détails. Je vais dans plusieurs directions, convoque plusieurs auteurs. C’est au fond une manière d’inscrire mon travail dans les contextes plus généraux dans lequel il peut s’inscrire. Par exemple, qu’est-ce que la stratégie dans différentes traditions (la guerre, la théorie des jeux, les sciences humaines et les jeux vidéo)? Comment ces définitions nourrissent ma réflexion?

Mais c’est le chapitre trois qui mettra véritablement de l’ordre dans cette conception. Ce chapitre est pour moi le cœur du mémoire et aurait pu être présenté comme une entité autonome. À ce titre, je voudrais insister sur les objectifs que j’énonce au début du chapitre :

L’objectif de ce chapitre est de montrer que la stratégie fonctionne [en temps réel] comme un cycle. Le joueur va se baser sur des hypothèses d’actions possibles qui sont à la base fixes mais qui vont pouvoir changer au cours de la partie. Au final, nous proposons une modélisation du processus stratégique en fonction de son utilité pour une analyse de jeu (p. 60). 

Il s’agit d’une part de décrire un processus en temps réel, mais aussi une manière de conceptualiser ce processus qui puisse nous aider à comprendre ce qui se passe dans un segment d’actions dans StarCraft. Cette modélisation est centrale parce qu’elle fait le pont entre deux parties : la stratégie dans un contexte général d’une part au chapitre 2 et la stratégie dans le contexte d’une partie au chapitre 4. Elle en est la synthèse. Elle se veut à la fois une manière de comprendre comment une partie s’est jouée, mais aussi une manière de comprendre un certain type de stratégie par rapport à d’autres activités qui s’y rapprochent.

Fig. 1. Le cercle heuristique du processus stratégique

Deux éléments démontrent la spécificité du modèle. D’abord, le concept d’« états du jeu », au pluriel : soit le fait que le joueur puisse inférer et anticiper certains éléments qui se produisent dans le jeu. Ce travail d’inférence et d’anticipation n’est pas présent de la même manière dans d’autres jeux; dans StarCraft, on peut prévoir son adversaire, sans toutefois que cette prévision ne soit exacte. Ensuite, le concept de plan stratégique, aux niveaux opérationnel, mobilisé et projeté. Il s’agit de l’idée que le joueur soit en rapport à un plan projeté qui lui permette d’élaborer différents plans mobilisés qui l’aideront dans un rapport de coprésence, et qui deviendront tour à tour le plan opérationnel des actions qu’il entreprendra.

Pour moi, le chapitre 3 est le plus autonome. Les chapitres 1 et 2 permettent d’en établir son contexte, alors que le chapitre 4 en est l’application. Je vais ici reprendre un exemple d’analyse que j’ai fait dans mon mémoire pour en illustrer certains points.

Le chapitre 4 fait écho quelque part au chapitre 2, parce qu’il constitue aussi une ouverture. Même si cette analyse de parties que je propose tente d’être le plus près possible de l’expérience du joueur, une partie méthodologique est véritablement une ouverture vers d’autres projets de recherche que j’ai déjà commencé à entreprendre. Comment comprendre la stratégie à partir de replays, de vidéos en ligne ou de guides de stratégie?

Ce chapitre questionne aussi les résultats de la recherche. Jusqu’à quel point doit-on connaître et maîtriser un jeu avant d’en faire l’analyse? Comme il y a un contexte à une partie, doit-on en tenir compte dans une analyse stratégique? Peut-on faire l’économie d’une histoire des stratégies quand on analyse un jeu vidéo? Ou encore, à quoi il servirait, par exemple, d’analyser d’autres parties de StarCraft; est-ce que mon modèle peut vraiment expliquer une partie? Est-ce qu’il peut rendre compte même de la manière dont la stratégie se pense en général dans le jeu? Des questions auxquelles je n’ai pas tout à fait répondu et que je n’ai pas non plus explicitement posé bien qu’elles émergent des questionnements de la section méthodologique du chapitre 4 et de la conclusion du mémoire.

J’ai volontairement écarté certaines approches ou certains concepts parce qu’ils auraient ouvert encore davantage le texte : l’immersion stratégique ou fictionnelle, la notion de diégèse dans les jeux vidéo, la notion de genre — que ce soit la science-fiction ou les jeux de stratégie en temps réel. Je crois qu’ils auraient ouvert plusieurs possibilités que je me devais de laisser tomber dans une recherche cohérente et précise comme celle que je propose ici.

Au final, je voudrais clarifier deux objectifs de ce mémoire qui sont en constant dialogue au cours du texte : d’un côté, proposer une réflexion aboutie et complète sur un sujet précis, soit celui de la stratégie comme processus cognitif dans StarCraft; de l’autre côté, rendre compte de la complexité du contexte dans lequel cette réflexion s’inscrit et voir comment les résultats de ma recherche ne sont qu’une introduction à d’autres questions, méthodologiques et épistémologiques, que je pourrai explorer dans mon projet de doctorat.

L’article Post-mortem de mon mémoire de maîtrise [2010] est apparu en premier sur Parenthèse vidéoludique.


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